CULTIVE LA SAGESSE - LE LIVRE DU SIRACIDE 6, 18-37
J’ai couru, bien longtemps, convaincu d’être libre. Vagabond débonnaire, fier de n’avoir nulle part, ni toit pour m’abriter, ni terre pour planter quelques maigres racines. Plus j’allais, plus j’aimais l’allure de ma course, le vent qui me grisait, l’imprévisible route. Je flambais les chemins, on m’admirait partout. A d’autres la peine des labeurs, les tâches répétées. Je les prenais de haut, riant du pauvre monde. Trop rapide pour qu’aucun ne puisse m’arrêter, questionner mon chemin. Je courais, aimant la course elle-même plus que là où menaient mes pas désordonnés. Jusqu’au jour où le souffle finit par me manquer et où la route soudain m’est apparue banale. Jusqu’au moment terrible où je compris enfin que je courais en rond, tournoyant sur moi-même, je n’allais nulle part, je bâtissais en rêve, ma vie n'était que vent. Personne dans ma course, pour parler avec moi, pour m’instruire des choses survolées sans comprendre. Alors en un instant, au hasard du chemin, je me suis arrêté. Le choc fut terrible. Je vis, en me penchant, tout un monde inconnu. Les détails sublimes invisibles en courant. Je cherchais, en mendiant, un homme pour m’instruire. Cela, qu’est ce que c’est ? Et ceci ? Le sage que je trouvais restait d’abord muet. Alors mes questions épousèrent sa mesure. Elles devinrent plus rares, plus subtiles aussi : Pourquoi cela est-il ? Et où cela va-t-il ? Ma course devenait un chemin intérieur, creusé profondément au centre de moi-même. Pour rejoindre le monde.