Selon le dessein providentiel de Dieu, il est donné à tout ce qui existe le moyen de parvenir à sa fin comme il convient à sa nature.
Pour obtenir ce qu’ils espèrent de Dieu, les hommes ont reçu aussi un moyen adapté à la condition humaine. Cette condition veut que l’homme se serve de la prière pour obtenir d’autrui ce qu’il espère, surtout si celui à qui il s’adresse lui est supérieur. C’est pourquoi il est recommandé aux hommes de prier pour obtenir de Dieu ce qu’ils
espèrent recevoir de lui. Mais la nécessité de la prière est différente selon qu’il s’agit d’obtenir quelque chose d’un homme ou de Dieu.
Quand la prière s’adresse à un homme, elle doit d’abord exprimer le désir et le besoin de celui qui prie. Il faut aussi qu’elle fléchisse, jusqu’à le faire céder, le cœur de celui qu’on implore. Or ces deux éléments n’ont plus de place dans la prière faite à Dieu. En priant, nous n’avons pas à nous inquiéter de manifester nos désirs ou nos besoins à Dieu qui connaît tout. C’est ainsi que le psalmiste
dit au Seigneur :
"Tout mon désir est devant toi". Et nous lisons dans l’Évangile :
"VotrePère sait que vous avez besoin de tout cela". Il ne s’agit pas non plus
d’infléchir, par des paroles humaines, la volonté divine à vouloir ce que d’abord elle ne voulait pas, car il est dit au
livre des Nombres :
"Dieu n’est pas comme un homme, pour qu’il mente, ni fils d’Adam, pour qu’il change", et au livre de Samuel :
"Il n’est pas sujet au repentir".
Pourtant la prière est nécessaire à l’homme pour obtenir une grâce de Dieu ; et cela en raison de celui-là même qui prie, afin qu’il considère ses propres déficiences et qu’il infléchisse son cœur à désirer avec ferveur et piété ce qu’il espère obtenir par la prière. Voilàcomment l’homme se rend capable de recevoir.
Une autre différence distingue la prière faite à Dieu de celle qu’on adresse à un homme. La prière adressée à un homme exige au préalable un certain degré de familiarité grâce à laquelle on aura accès auprès de celui qu’on implore. Tandis que la prière à Dieu nous rend par elle-même familiers de Dieu, puisque notre âme s’y élève vers lui, s’entretient affectueusement avec lui et l’adore en esprit et en vérité.
Cette intimité acquise en priant incite l’homme à se remettre en prière avec confiance. C’est pourquoi il est dit dans le psaume : "J’ai crié", c’est-à-dire j’ai prié avec confiance, "parce que tu m’as exaucé, mon Dieu". Reçu dans l’intimité de Dieu par une première prière, le psalmiste prie ensuite avec une confiance accrue. Ainsi l’assiduité ou
l’insistance dans la demande n’est-elle pas importune lorsque nous prions Dieu, mais elle est bien plutôt agréée de Dieu ; car "il faut toujours prier, dit l’Évangile, et ne jamais se lasser" ; et ailleurs le Seigneur nous invite à demander : "Demandez et vous recevrez, dit-il, frappez et l’on vous ouvrira."
Saint THOMAS D’AQUIN